Bonjour Magali ! Depuis 13 ans, tu es directrice des opérations d’Atlantic 2.0 : l’association qui gère la Cantine numérique et organise le Web2Day, un des plus grands festivals de la tech en France. On a plein de questions à te poser sur le numérique, l’événementiel ou encore le porno éthique ! C’est parti ?

Depuis combien de temps vis-tu à Nantes et quel est ton quartier préféré ?

Étant nantaise, ça fait un moment !

Et mon quartier préféré… Je ne me suis jamais vraiment posé cette question ! Je ne pense pas avoir de quartier préféré, ce que je préfère c’est d’être dans les bois. Actuellement, je suis juste à côté de la vallée du Cens, ce qui me convient parfaitement car j’ai l’impression d’être dans une forêt, dans la ville.

Comment définirais-tu le rôle de la Cantine du Numérique, en 2022 ?

Il peut y avoir la version officielle et la version officieuse ?

La version officielle, c’est de rassembler toutes les communautés qui font l’innovation à Nantes : des publics qui ne sont pas forcément amenés à se rencontrer : startups, grands comptes, indépendants, investisseurs, étudiants, monde du libre… Notre envie est de mélanger les genres et de mettre tout le monde autour de la table.

La version officieuse, ma motivation perso — attention ça va faire un peu prosélyte — c’est à ma modeste échelle, d’éveiller les consciences aux problématiques sociétales et environnementales…

On entreprend, on fait l’innovation, on travaille dans une organisation qui fait de l’innovation, c’est cool mais qu’est-ce qu’on apporte au monde ? Pourquoi le fait-on ? Qu’est-ce que nous on peut changer à notre échelle ? C’est ma version, c’est ce qui me permet d’être alignée avec ce que je fais.

Tu travailles depuis 13 ans pour l’association : est-ce que tu es toujours aussi passionnée ? Qu’est-ce qui te retient ?

(Rires.)

En fait, je pense que je ne l’étais pas au départ, c’est ça qui est amusant. Je n’ai jamais su ce que je voulais faire.

J’ai commencé par aider bénévolement l’association Atlantic 2.0 sur l’organisation des événements, alors que le lieu qui allait devenir la Cantine n’existait pas encore. Puis, lorsque des fonds ont été débloqués et que le lieu a été trouvé, on m’a finalement proposé de rejoindre l’association en tant que Cheffe de projet.

Et depuis seulement quelques années, je me rends compte de l’impact que l’on peut avoir, que ce soit dans notre manière de gérer la Cantine en elle-même, les gens avec qui on travaille, mais aussi avec l’extérieur : ce que l’on propose comme services, comme événements… Je trouve que c’est un beau terrain d’expérimentation.

Je me sens beaucoup plus aligné maintenant, car le boulot a beaucoup évolué et que cela va de pair avec mon évolution personnelle, tout simplement.

Au début, on bossait beaucoup avec les entrepreneurs, on était orienté développement startups, développement économique du numérique. Je ne me sentais pas forcément à l’aise : j’ai un énorme syndrome de l’imposteur, enfin de l’imposture.

Au fur et à mesure du temps, avec mes prises de conscience personnelles, tout a eu du sens, tout s’est mis en place et la Cantine a grossi : autant l’équipe que le réseau et maintenant nous avons plein de gens qui font du numérique sur Nantes, donc je m’y sens à ma place. Par contre, je ne peux pas dire que je ne partirai pas un jour faire de la céramique dans la Drôme ! (Rires)

Comment la scène numérique nantaise a-t-elle évolué ces 10 dernières années ? Observes-tu des différences, des spécificités par rapport à Paris ou d’autres grandes métropoles françaises ?

Par rapport aux autres métropoles, je ne sais pas. Les gens de l’extérieur nous parlent beaucoup de notre positionnement sur l’impact. Il y a une prise de conscience collective assez forte sur le territoire.

Ce que je perçois, c’est que nous étions très focalisés sur le développement de startups, le développement économique du numérique et surtout la figure de l’entrepreneur·se seul·e. Dorénavant on se concentre aussi sur les collaboratrices et collaborateurs, les équipes dans leur intégralité. Car on sait bien que sans cela, on ne va pas bien loin et qu’il faut savoir s’entourer. De plus, le recrutement est une vraie problématique, aussi à Nantes. Ce qui nous amène à travailler davantage sur les notions de sens et de bien être au travail…

Est-ce que ce sont toujours des mecs (pour la plupart ingénieurs et/ou entrepreneurs) qui dominent cette scène ?

Ça évolue ! En tout cas, maintenant, on s’en rend compte, on en parle et on veut que les choses bougent. Il y a toujours une majorité d’hommes — blancs — qui entreprennent mais en parallèle, il y a des associations et des écoles qui se sont montées pour aller trouver des publics différents : que ce soit des femmes ou des personnes issues de la diversité, en tout cas un public moins privilégié que nous, de part sa couleur de peau, son lieu de naissance, son background culturel, qui n’ont pas accès aux réseaux.. Je pense que ça évolue car tout le monde a envie d’un monde un peu plus égalitaire. Et c’est chouette, non ?

En 2019, vous avez réalisé la 10ème édition du Web2Day, qui avait été annoncée comme la dernière. Pourquoi avoir finalement décidé de remettre le couvert en 2022 et 2023 ?

(Rires.)

On n’a pas dit que c’était la dernière ! On a dit qu’on faisait une pause, pour retravailler le format car on avait trop la tête dans le guidon alors qu’on avait aussi l’envie de faire évoluer le concept, tant pour les gens qui y viennent que pour nous, l’équipe organisatrice. Pour citer certaines personnes « il fallait réenchanter l’événement ». On pensait faire une pause d’un an mais la pandémie a changé les plans : on a eu plus de temps que prévu pour réfléchir à tout ça et en même temps on s’est retrouvé à organiser l’événement après 2 ans d’absence il a fallu reprendre nos marques, on avait perdu l’habitude !

Du coup, cette édition 2022 du Web2Day, on l’a abordée en se disant «on s’en fiche, on assume tout, on y va, on est libérée-délivrée, on aborde les sujets que l’on a envie d’aborder », comme si quelque chose s’était passé.

On avait envie d’aller plus loin et que les gens passent un super moment, qu’ils prennent du plaisir.

Avant on se posait beaucoup de questions, on osait peut-être pas aller sur des sujets qui nous tiennent à cœur de peur de choquer, être à côté de la plaque ou trop subversifs. Cette fois-ci on s’est dit, on y va ! Même sur des sujets risqués comme le porno éthique ! Jamais de la vie je n’aurais pensé aborder ça. Et je n’aurais encore moins pensé faire l’interview de…

Hop hop hop, attends, c’est ma prochaine question justement : durant cette édition, la programmation avait l’air beaucoup plus engagée, avec de nombreux sujets de société comme le futur du travail, l’exploration spatiale et les Sextechs. On t’a notamment vu interviewer Olympe de G., réalisatrice de porno éthique. Pourquoi était-ce ta première intervention en 12 ans ?

Je n’ai pas choisi de la faire ! De base, je n’aime pas trop prendre la parole en public, je ne suis pas hyper à l’aise. On avait prévu quelqu’un habitué aux REXs [retours d’expériences] sauf que cette personne ne se sentait pas du tout d’y aller, car l’exercice était vraiment différent : une conversation avec une nana qui réalise du porno éthique, et qui a été performeuse par le passé !

Pour moi, la validation de la venue de Olympe de G était la meilleure nouvelle de cette édition, validation que nous n’avons reçue que 15–20 jours avant le lancement. Elle fait partie des profils difficiles à avoir au Web2Day, car c’est un milieu très orienté innovation/technologie. Pourtant, depuis peu ce sont les profils que l’on veut avoir au Web2Day. Je me suis dit : « si personne ne s’en charge, alors je vais le faire ! »

Le sujet [Révolutionner l’intime pour un futur désirable] était tellement amusant et j’allais pouvoir rencontrer une personne que je trouvais déjà extraordinaire et avec qui je partageais au moins un point commun : Olympe avait beaucoup de mal à prendre la parole en public par le passé. Ambivalence plutôt amusante au vu de son passé de performeuse, alors que maintenant, elle en parle avec une certaine candeur, que je trouve géniale.

Sans que je sois habituée de l’exercice, tout s’est passé très naturellement, on n’a même pas vraiment préparé : je l’ai simplement eu au téléphone pour discuter de ce qu’on allait aborder : « peut-être pas trop de trucs porno ? ».

Si, en fait ! Il fallait expliquer la démarche et ne pas se poser la question. De son côté, elle trouvait chouette de ne pas faire une énième conférence sur le féminisme ou sur l’industrie du porno et donc de toucher un autre auditoire. Elle m’a demandé si elle pouvait venir avec son chien sur scène, ce que j’ai évidemment accepté ! (Rires.) Dans la grande salle en plus !

C’était tout simplement parfait, on a pu faire un format qui nous ressemble : une discussion entre deux meufs, qui stressent pour prendre la parole en public, avec un chien pour apaiser l’ambiance.

Dans les faits, durant la conversation, je n’avais pas la notion du temps, j’essayais de rebondir au maximum car je n’avais qu’une hantise : qu’on n’ait plus rien à se dire, que ça se termine trop tôt. Alors qu’elle était en train de parler de vulve et de penis, j’ai eu comme un doute, genre merde on va peut-être trop loin, on est quand même à une conférence tech, en plus j’apercevais des gens dans l’auditoire que je ne m’attendais pas forcément à voir à cette conférence. Mais à la fin quand plusieurs personnes sont venues nous féliciter, notamment Francky [Trichet], adjoint à la maire, je me suis dit ok c’est chouette, on a fait le bon choix.

Si on avait décidé d’aller sur ce sujet, ce n’était pas pour faire de la provoc, mais parce que l’industrie du porno, elle façonne aussi nos vies, nos relations. Ça éduque beaucoup de monde en fait, donc si on ne met pas notre nez dedans… C’est dangereux, car c’est un sujet important, commun, les relations charnelles et amoureuses.

Concernant le rapport à l’innovation/technologies, il faut comprendre que les Sextechs et le Porno éthique sont deux choses bien distinctes : le porno, par exemple, ce n’est pas financé par la BPI. C’est considéré comme « moche » comme le dit si bien Olympe, car on a en tête le porno mainstream. Les Sextechs se revendiquent plus de la santé et du bien être. Là pour le coup, on a plutôt parlé de disruption et d’innovation créative dans le porno, en utilisant les nouvelles technologies et la voix, et en particulier de l’un de ses projets: les podcasts audios porno de Voxxx.

Dernière question : est-ce que tu imagines quitter Nantes un jour ou peut-on espérer te garder un peu plus longtemps ici, parmi nous ?

Ça fait déjà un moment que je suis là ! Oui j’imagine la quitter, mais ce serait pour aller vivre dans la nature, ce que je ne me vois pas faire sans mes potes. Je ne partirai pas toute seule avec mon chien et mon chat dans la montagne, donc dans l’idéal, c’est partir avec mes amis sous le bras, acheter un village et faire des grosses fêtes techno.

Concernant le « où », je n’en sais rien, même si avec le réchauffement climatique j’ai cru comprendre qu’il fallait mieux éviter le sud. Pourtant j’aime la lumière, et j’ai Ludovic Simon [un entrepreneur] que tout le monde connaît dans le milieu nantais, qui lui est dans la Drôme qu’il m’a très bien vendue. En tout cas, je ne cherche pas forcément à me rapprocher du bord de mer, mais plutôt de la campagne tant qu’il y a de l’ensoleillement. Finalement, ce sera peut-être dans la campagne nantaise… Je ne sais pas.

Merci Magali !

Magali Olivier, figure engagée du numérique 🦾