
Bonjour Hugo ! Tu as ouvert le Café penché avec ton associé Frédéric il y a bientôt cinq ans, puis Morfal, restaurant de street food méditerranéenne, en automne 2021. Vos deux enseignes se situent dans la rue des Vieilles Douves qui, il y a encore quelques années, n'inspirait pas forcément la joie. Elle est pourtant attenante à l’une des places les plus populaires de Nantes : la place Royale.
Après cinq ans dans les métiers de bouche et ton premier latte-art posté sur les réseaux sociaux, tu crées aujourd’hui des concepts avec une vraie identité visuelle, des valeurs fortes (locavore, saisonnalité, végétarien…) et une équipe chaleureuse, du café de sélection à la pita méditerranéenne. On a neuf questions à te poser sur la nouvelle génération de commerçant·es nantais·es, la rivalité Nantes-Rennes, ou encore la renaissance de votre rue. Petit détail : tu es venu à cet interview avec P-E (Bonjour P-E), qui s’occupe du community management de vos différentes enseignes.
Première question, que l’on pose dans chacune de nos interviews : depuis combien de temps vis-tu à Nantes et quels sont les endroits où tu t’y sens le mieux ? Interdiction de répondre que c’est la rue des Vieilles Douves.
Hugo : Ça fait huit ans que je suis à Nantes, j’y suis arrivé pour finir mes études dans l’immobilier après l’obtention d’un BTS à Rennes.
Au début, je t’aurais dit que je me sens bien dans le centre, je suis un citadin, mais d’y être et d’y bosser au quotidien… Je préfère maintenant des coins plus reculés du centre comme la Butte Sainte-Anne, c’est un spot qui se développe bien et qui est super agréable. L’île de Nantes aussi, enfin son bon côté ! Je vis maintenant à Bouguenais-La Montagne, ce n’est plus dans le centre mais ça a des avantages et puis je me déplace en scooter donc tout reste accessible. En hiver, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux mais l’été c’est cool de retrouver une petite maison avec jardin. Ça permet de sortir de l’activité de la ville, et puis mon amie habite là-bas donc je l’ai un peu suivie.
Tu as commencé dans l’immobilier à Rennes, après tes études. Aujourd’hui te voilà entrepreneur dans la food à Nantes. Qu’est-ce qui t’a amené jusqu’ici et comment s’est opérée la transition ? Et surtout, afin de créer une polémique facile : est-ce que Nantes, c‘est mieux que Rennes ?
Hugo : Je suis née à Rennes et P-E aussi donc on va pouvoir effectivement en parler (rires) !
Comme je le disais au départ, je suis venu ici pour me spécialiser dans la promotion immobilière, après l’obtention d’un BTS qui, lui, prépare plutôt aux métiers de l’agence immobilière, car cela m’intéressait vraiment plus : de la recherche du foncier jusqu’au suivi du chantier et la vente des lots. C’est un milieu qui me semble moins requin, moins commercial, moins compétitif avec les autres agences et qui convient donc plus à ma personnalité.
Pour financer ces études, j’ai trouvé un job étudiant chez Columbus Café. Je travaillais vingt, vingt-cinq heures par semaine en parallèle de mes études du soir au CNAM. Lorsque mon employeur m’a proposé de passer responsable en temps plein, j’ai dû faire un choix : entre l’immobilier, qui est un milieu dont je n’avais plus une belle image et la food, un milieu dans lequel je me développe et qui me plaît vraiment. Un choix d’autant plus difficile quand tu as un entourage qui te fait comprendre que la restauration est un milieu où tu finis quand tu ne travailles pas bien. Pourtant, je me suis rendu compte que j’avais quelque chose à y faire et j’ai pris la décision de quitter le CNAM pour m’investir à fond là-dedans.
Pour répondre à ta question sur Nantes et Rennes, j’ai souvent dit que ces villes étaient complètement différentes : Rennes reste en quelque sorte un village. Tout est plus concentré, plus humain, plus paisible mais avec ses inconvénients : il y a beaucoup moins de choses à faire le week-end. Ne parlons même pas des dimanches rennais, même si cela évolue dans le bon sens !
P-E : Surtout grâce au Couvent des Jacobins qui apporte vraiment quelque chose.
Promis je n’en demanderai pas plus ! Parlons plutôt de la rue des Vieilles Douves : qu’est-ce qui t’a convaincu de vous y installer ? Quel potentiel y as-tu décelé ?
Hugo : C’est surtout Frédéric qui a décelé le potentiel, on ne se connaissait pas encore. Moi, j’étais chez Columbus Café, une chaîne plutôt industrielle et je me passionnais de plus en plus pour le café. J’avais envie d’évoluer dans le sourcing de produits mieux travaillés et mieux produits pour proposer un service plus cohérent avec ce que je souhaitais offrir à mes clients. J’ai donc commencé à chercher du travail dans ce que l’on appelle les cafés de spécialité, milieu encore très peu développé à Nantes il y a cinq ans. Il y avait donc très peu d'opportunités : j’ai déposé des CV à droite à gauche, dont à l’Espérance [aujourd’hui le café Billie’s] sur l’île de Nantes mais personne n’avait de place.
Frédéric, qui lui débarquait de Paris pour ouvrir la franchise de friperies Kilo Shop, est un habitué des cafés de spécialité parisiens comme Coutume, qui deviendra le torréfacteur historique du Café penché. Lors de ses rendez-vous, il trouvait difficile d’avoir accès à du bon café et lorsqu'il a signé pour le local de Kilo Shop, il s’est rendu compte qu’avec toute la place qu’il avait à disposition il pouvait monter son propre établissement. Il souhaitait travailler avec un acteur local et s’est donc adressé à l’Espérance… qui lui a fait passer mon CV !
Nous étions deux profils en concurrence sur le poste : l’un avec beaucoup d’expérience en tant que barista, donc très expérimenté sur le sujet café de spécialité et moi, plus opérationnel grâce à Columbus Café. Ma motivation et mon envie de développer ce concept l’ont convaincu. Dès le départ il m’a fait confiance et m’a passé les rênes pour ouvrir le café au sein du Kiloshop. Ça a duré trois ans et l’on continue d’entreprendre ensemble aujourd’hui, avec Morfal.
Rester dans la rue pour ouvrir le restaurant n’était pas une évidence, on avait visité pas mal d’emplacements sur Nantes, comme l’espace de l’actuel Balthazar dans la rue Santeuil, mais cela dépassait notre budget. Pendant ce temps-là, dans la rue des Vieilles Douves il y avait la crêperie La Tête Noire : l’ancien propriétaire ça faisait treize ans qu’il était ici, trente ans que l'institution existait, et lui avait des soucis de santé. Il ne pouvait plus continuer, ça faisait deux ans qu’on ne le voyait plus. Comme il venait faire du rangement de temps en temps, un jour on l’a abordé directement. Après, c’était une évidence de bloquer ce local là, plutôt qu’un commerce de mauvaise qualité vienne « pourrir la rue ». On s’est dit « Feu ! On saute sur l’occasion. » Ça crée un peu comme la rue du Nil à Paris : une petite rue où à la base un gars a ouvert d’abord le primeur Terroirs d’Avenir, puis plus loin une boucherie, et encore plus loin une poissonnerie. Aujourd’hui il y a plein de restaurants hyper cools qui se sont montés et qui s’y fournissent en matières premières.
Certains commerces installés depuis plus longtemps que vous ont refait leurs enseignes, comme si la rue avait officialisé sa renaissance, en se végétalisant notamment. Faites-vous des réunions de quartier ?
Hugo : Pas du tout mais on se connaît tous et on discute. Frédéric a mis une très bonne impulsion dans la rue : le local qu’il a repris pour ouvrir Kiloshop était fermé depuis trois ans. Les commerces n’étaient pas vraiment joyeux et la rue était considérée comme mal famée il y a encore dix ans.
P-E : À Nantes il y a cinq ans, on s’ennuyait beaucoup sur les concepts food, il y avait beaucoup de places à prendre. Le COVID a été un moment difficile pour beaucoup, mais cela a aussi permis à certains de sortir leur épingle du jeu : des locaux commerciaux se sont libérés et ça a permis à de nouvelles personnes d’essayer leurs idées sans faire juste du surgelé, comme beaucoup.
Hugo : Je pense que nos deux commerces ont créé une belle dynamique et aujourd’hui la rue est vraiment sympa, on a demandé à la Mairie de végétaliser et de permettre l’ouverture de terrasses. Pour les commerces environnants, ça a dû être un bol d’air frais.
Ça l’a été pour nous en tout cas ! Ce que vous avez initié rappelle la situation rue Léon Jamin avec sa ribambelle de commerces qui transforment le quartier. La rue est devenue piétonne, des fanions de couleurs animent les façades. Est-ce le concours de qui rendra sa rue la plus cool ? Est-ce qu’il t’arrive de discuter avec eux de ces microcosmes que vous avez réussi à créer ?
Hugo : C’est assez amusant car Frédéric avait rencontré Mathias de La Raffinerie Nantaise [rue Léon Jamin], dans le cadre de l’ouverture de son Kilo Shop, pour le côté textile et le design du Café penché. C’est l’une des premières personnes que j’ai rencontrées également et aujourd’hui c’est un pote. Il y en a d’autres dans la rue Léon Jamin comme Pierre Poux, les gars de La Mandale… Est-ce que c’est un concours ? Non, je ne pense pas. C’est une nouvelle façon de vivre sa rue : il n’y a pas de concurrence mais on s’inspire mutuellement.
P-E : Puis tout ça c’est une réflexion qui s’est construite au fur et à mesure, car la rue n’était pas du tout évidente à travailler. Elle est proche de la place Royale mais complètement cachée et étroite. Le Café penché crée un public pour Morfal et inversement. Ce sont deux enseignes qui travaillent des produits très différents et qui se complètent très bien. Il ne manque plus qu’une boulangerie dans la rue ! Comme le dit Hugo, nos rues ne se font pas concurrence, elles ont la même ambition mais elles le font à leur manière en ouvrant des commerces qui leurs sont propres.
Double question simple et directe : pourquoi le café de spécialité ? Pourquoi la cuisine méditerranéenne ?
Hugo : Le café de spécialité, c’était pour répondre à notre question avec Frédéric : « Où est-ce que je peux boire un bon café de spécialité ? Vas-y je le monte. » Tout simplement.
Comme je le disais plus tôt, Frédéric fait partie de l’ancienne génération d’entrepreneurs mais avec une vision très moderne : il sait faire confiance, te donner la chance de faire tes preuves. Il sait aussi qu’il ne peut pas te garder très longtemps dans un coffee shop en tant que responsable, en particulier dans un lieu cosy mais petit comme le nôtre, donc assez rapidement il m’a proposé que l’on s’associe et que l’on monte un autre commerce ensemble. On s’est posé la question de ce que l’on aimait, en particulier en street food, comme lorsque l’on va à Paris où elle est particulièrement bien représentée, et de ce qui ne se faisait pas à Nantes. On avait une référence en tête : Miznon, de la street food israélienne de pita et on est parti là-dessus. Au final, on ne s’est pas trompé.
On vous remercie d’ailleurs, tant pour le guide « Ces bons coffee-shops nantais » que vous avez produit avec Docteur Paper que pour la pita au Pastrami que vous proposez en ce moment à Morfal, en partenariat avec Marché Noir, le fumoir urbain (producteur, traiteur et promoteur de viandes locales). On sent vraiment une très bonne ambiance entre les acteurs nantais de cette génération ! Quel est le prochain concept ? Tu as du croustillant à nous partager ?
(Rires.)
P-E : il y a un local au bout de la rue qui n’attend que ça !
Hugo : Je ne sais pas encore s’il y aura un autre commerce dans cette rue, on ne veut pas s’éparpiller, et on a encore du boulot sur Morfal car une chose est sûre : on n’a pas envie de s’arrêter là. Potentiellement développer Morfal dans d’autres villes de France et investir aussi dans les événements. D’ailleurs, pour notre premier anniversaire, on a organisé le Morfal Festival avec un mixologue, un collectif de DJs, une tatoueuse, l’expo photographique de P-E et la projection de Queenie, le vidéaste à qui on sous-traite le travail vidéo. Mais ce lieu est limité en places donc l’idée pour cette année ce serait de privatiser le deuxième étage du LAB pour une nouvelle édition avec plus d’intervenants et pourquoi pas faire un festival sur deux jours pour la suite…
Je ne sais pas si j’ai envie de rester à Nantes, enfin si. Mais je ne sais pas si j’ai envie de concentrer Morfal à Nantes : l’ouvrir dans d’autres villes aurait plus de sens. Étant de Rennes, je pense forcément à ma ville natale, puis à Bordeaux, et si cela intéresse des investisseurs, on pourrait même réfléchir à un modèle de franchise.
Parfois on me demande « Pourquoi tu n'en ouvres pas un autre, autre part dans la ville ? » Je leur réponds que je n’en vois pas l’intérêt. À la limite, on pourrait envisager de l’agrandir pour tourner davantage.
On arrive sur les dernières questions, que l’on pose aussi à tous nos invités : si on te laissait les clés de la ville pendant une semaine, qu’est-ce que tu changerais ?
Hugo : Oh la vache ! Qu’est-ce que je ferais…
P-E : C’est trop intéressant comme question les gars.
Hugo : Ça il fallait me la poser avant, je l’aurais préparée ! Nantes c’est déjà une ville qui se développe hyper vite, bien et dans le bon sens. Je pensais forcément à des food markets, mais Magmaa a ouvert. Ce n'est pas parfait mais c’est déjà très cool. Il y a plein de quartiers qui apportent du dynamisme, la ville est piétonne, les places sont belles… Je n’ai pas forcément d’idées, c’est déjà pas mal et je ne suis pas Maire moi (rires.)
P-E : Pour faire écho à la première question, je pense que Nantes est une ville où il y a une grande pluralité, tu peux être bien à plein d’endroits différents, tu as plein de paysages différents et les fleuves sont très présents : l’Erdre, la Loire, et en cinq minutes de vélo tu es en bord de Sèvres. Tu as aussi beaucoup de culture, et de l’histoire avec le château [des ducs de Bretagne], le Lieu Unique... Trentemoult qui est aussi très cool. Si j’étais maire, je réfléchirais à la tension entre les gens passés entièrement piétons ces dernières années et les automobilistes qui vivent les bouchons du centre-ville au quotidien. Je pense qu’on est en train de changer de monde mais la transition est compliquée. Il y a encore à faire.
Pour finir, est-ce que tu imagines quitter Nantes un jour ou peut-on espérer te garder un peu plus longtemps ici ?
Hugo : Pour l’instant je suis ici (rires).
Nantes est une ville où je me sens bien, et c’est pour cela que beaucoup de parisiens viennent s’installer à Nantes. Frédéric n’est pas là par hasard, il vient de Vendée [vivait à Paris] et Nantes était un bon compromis.
Si je devais vraiment partir pour une autre ville, si ce n’est pas Rennes, ce serait pour aller à l’étranger : au Canada, à Montréal sûrement. Il y a de bonnes ambiances, de bons concepts, des gens cools, mais le froid aussi.
On vous recommande bien évidemment de vous rendre à Morfal pour une délicieuse pita 🥙 puis au Café penché ☕ juste en face, juste ensuite.