
Bonjour Franck ! Tu es ébéniste de formation et maintenant designer de mobilier. Il y a quatre ans, tu as créé Instead, une entreprise qui produit des tabourets fabriqués en… bière ? Le week-end dernier tu étais à Paris pour la MIF Expo, le salon du Made in France. On a plein de questions à te poser : design, fabrication responsable, bière.
Première question : depuis quand vis-tu à Nantes et pourquoi ?
Je suis revenu à Nantes en janvier 2022. J’ai fait mes études de design à Nantes de 2016 à 2018 et je suis reparti dans les Hauts-de-France, où j’avais fait mes études en ébénisterie, pour développer le projet. Ils [la région Hauts-de-France] m’ont accueilli pour me mettre à disposition des espaces, des machines et puis j’avais un travail à côté, la nuit, en tant qu’assistant d’éducation. Donc j’ai choisi cette opportunité pour me lancer. Mais au moment de commercialiser, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup plus de choses à faire à Nantes, notamment sur les partenariats industriels, donc j’ai choisi de revenir ici.
C’est quoi ton quartier, ton lieu préféré ?
Je n’ai pas vraiment de quartier préféré mais j’aime beaucoup les lieux originaux où l’on ne croise pas forcément grand monde. Des lieux où tu peux découvrir des spécialités, des personnes, des espaces atypiques où les gens n’ont pas l’habitude d’aller. Tout sauf le Hangar à Bananes quoi… (rires). Par exemple, j’aime beaucoup le Bier Market, parce que c’est un endroit où il n’y a pas foule, ce n’est pas un lieu où l’on va pour l’aspect convivial ou sa décoration, mais où l’on va justement pour découvrir des bières toujours inédites, qui se renouvellent de semaine en semaine.
Parle-nous un peu d’Instead et de cette histoire de bière ! Depuis quand t’es-tu lancé dans cette aventure, avec ton acolyte Robin (Bonjour Robin !) et quelle est votre ambition ?
Instead, pour résumer, c’est du mobilier fabriqué à partir des céréales qui ont servi pendant le brassage de la bière. C’est ce que l’on appelle la drêche de brasserie. Grâce au procédé de brassage, on récupère une matière sucrée que l’on va déshydrater, compresser, chauffer et qui, par phénomène de caramélisation, va s’agglomérer naturellement. On n’utilise que 2% de liant ce qui nous permet d’avoir une cadence industrielle, avec un produit sans formaldéhyde, sans composés organiques volatils [COV : produits chimiques utilisés en industrie, qui sont identifiés comme polluants pour nos airs intérieurs et dont le formaldéhyde est un représentant majeur] et surtout durable et résistant. Le reste, les 98%, ne sont que de la matière première recyclée.
En fonction des types de bières brassées, tu vas avoir des céréales qui vont être plus ou moins torréfiées et ça c’est intéressant car on peut imaginer donner différentes couleurs à nos assises, naturellement ! Sans avoir besoin de les colorer.
Un tabouret c’est l’équivalent de 6L de bière brassée. (…) Avec les 2 milliards de litres consommées l’année dernière, on pourrait faire asseoir la France entière !
Un tabouret c’est l’équivalent de 6L de bière brassée. Ça donne du coup une idée de ce que l’on peut imaginer produire comme mobilier : avec les 2 milliards de litres consommées l’année dernière, on pourrait faire asseoir la France entière ! Le plus long a été de mettre en place la filière, de motiver les industriels à travailler sur le procédé et à y passer du temps. Robin, lui, est arrivé il y a un an pour le développement à plus grande échelle du projet. Concrètement, on se concentre sur la construction de notre offre autour de cette matière.
Cela fait quatre ans que je suis sur Instead, j’ai été diplômé en fin d’études avec ce projet, puis quelques mois m’ont suffi pour savoir que c’était vraiment ce que je voulais faire de ma vie. Les premiers essais remontent à novembre 2018..
Notre ambition est de démocratiser la matière pour l’intégrer dans un maximum de produits. Du mobilier au matériau de construction.
Vous avez déjà pas mal de succès, au point de vous retrouver au salon du Made in France, à Paris. Peux-tu nous raconter comment ça s’est passé ?
Sur les deux semaines qui entouraient cet évènement, on a enchaîné entre le salon Habitat Déco à Nantes qui était beaucoup plus orienté professionnels et particuliers cherchant à se meubler, alors que le MIF ressemble plus à un gros marché de Noël, avec un panier moyen de 30 € à 40 € et 100% d’achats compulsifs. Donc, ce n’est clairement pas l’endroit où l’on a le plus vendu, mais on a eu la chance, grâce à l’originalité du projet, d’être grandement médiatisés : TF1, France 2, France 3, Sud Radio… On a fait un petit carton là-bas. On est rentrés heureux, avec une boîte mail bien remplie par des devis. Mais ça a été franchement intense, avec 100 000 visiteurs sur cinq jours, il faut enchaîner pour expliquer le projet, prendre le temps d’aller découvrir deux ou trois petites choses à droite et à gauche. Disons que l’on prend toujours ces opportunités là pour s’amuser, sortir la tête du projet, discuter avec les gens et se marrer un peu quoi !
Le projet a été nominé pour le Grand Prix Made in France de l’année, mais n’a pas été lauréat.
Sur ton site, vous dites produire du mobilier haut de gamme, éco-responsable et fabriqué en France. Est-ce que tout cela est possible en restant accessible financièrement ?
Oui totalement ! Quand on compare, dans le cadre d’une concurrence européenne, avec des produits similaires aux nôtres on est déjà dans les mêmes prix. Mais il faut penser ce type de produit comme un investissement : certes, ce n’est pas un produit “pas cher”, puisque chez Ikea tu en trouveras [des tabourets] à des prix dérisoires qui conviendront à beaucoup. Mais on ne cherche pas à s’aligner sur des marchés concurrentiels aujourd’hui occupés par GIFI ou La Foir’Fouille. Nous, on propose un produit qui va effectivement coûter un peu plus cher, tout en restant accessible, mais qui a été pensé pour être réparé pendant sa durée de vie. Ses éléments vont pouvoir être remplacés indépendamment par exemple. C’est aussi un produit qui a été fabriqué entièrement en France et pas en Europe. Et puis, c’est un procédé innovant qui a nécessité énormément de développement pour arriver à quelque chose que l’on ne va pas retrouver ailleurs. Donc on a suffisamment de vecteurs de différenciation pour se positionner sur le marché européen, avec des avantages puissants : Made in France, singularité et innovation. Et une histoire assez étonnante !
Quelle est la suite pour vous ? Après les tabourets, peut-on espérer la table qui va avec ? Est-ce le but de ce panneau brassé, qui a l’air d’ouvrir considérablement les possibilités ?
On développe deux choses en parallèle. D’abord, on continue de travailler sur le moulage en 3D pour développer d’autres produits, comme une chaise par exemple. Les formes 3D permettent plus d’ergonomie et un côté « empilable » pour les produits. Mais on travaille aussi, bien sûr, sur ce fameux panneau. Il nous permettrait de ne pas systématiquement développer de nouveaux outils et moules pour développer chaque nouveau produit. On pourrait simplement usiner dans le panneau et en faire ce que l’on veut.
Le panneau brassé n’est pas encore sorti, on y travaille. L’objectif serait de le sortir au cours du second semestre 2023. Mais on continue de réfléchir à le faire produire, ou à le faire nous-mêmes. La première option nous laisse dans une dépendance dans laquelle on se trouve déjà aujourd’hui. La seconde est synonyme d’investissements importants. En tous cas, l’objectif des prochaines années est de trouver le modèle qui nous permettra de devenir indépendant. Ne pas y accéder sur l’intégralité du processus reste clairement risqué.
Est-ce bien vous derrière les tireuses du Little Atlantique Brewery ? On a vu passer ce post Instagram.
Tout à fait ! Ils nous ont contacté pour développer ça et l’on s’est servi des essais de panneaux brassés que l’on avait fabriqués pour en faire quelque chose. On a fabriqué 250 poignées de tireuses avec un fourreau métallique : pour travailler sur l’esthétique du mélange drêche-métal et avoir une fixation solide sur les becs de tireuses. Vous les retrouverez bientôt en divers endroits, puisque nous les donnons aux différents distributeurs en bières du LAB.
Pour conclure, est-ce que tu imagines quitter Nantes prochainement ou peut-on espérer te garder un peu plus longtemps ici, parmi nous ?
Je crois que j’ai jeté l’ancre ici.
Je crois que j’ai jeté l’ancre ici. Je n’ai pas d’intérêt à aller ailleurs. Tous nos partenaires sont là, on a notre entrepôt logistique, nos bureaux. On a construit quelque chose de légitime et solide à Nantes. Si demain on doit partir ailleurs ce sera pour une bonne raison.
On prévoit trois autres questions, que l’on va laisser aux mains de nos lecteurs. Es-tu ok pour y répondre plus tard ?
Bien sûr !
Franck, merci pour ton temps et surtout d’avoir fait deux fois cet interview, suite à nos problèmes de micro !